Faut-il libérer les forces de vente ?

Faut-il libérer les forces de vente ?

Dans un contexte où « l’entreprise libérée » envahit le champ médiatique et semble être expérimentée avec succès dans certaines entreprises, on peut légitimement s'interroger sur la pertinence et la faisabilité de sa mise en œuvre sur les forces de vente.
En effet les exemples d’entreprises qui se « libèrent » se multiplient, mais force est de constater que l’on trouve, dans cette littérature florissante, peu d’exemples de la libération des équipes de vente.
Dans un contexte où « l’entreprise libérée » envahit le champ médiatique et semble être expérimentée avec succès dans certaines entreprises, vous vous interrogez sur la pertinence et la faisabilité de sa mise en œuvre sur votre propre force de vente.

Qu’est-ce qui différencie une entreprise libérée d’une organisation classique ?

D’après Denis Bismuth, dans un article publié par la Harvard Business Review, les entreprises libérées, quel que soit leur secteur d’activité, ont 7 points en commun :
1. Elles allient bien-être au travail et productivité : facteur de pérennité de l’entreprise
2. Une vision est portée par un leader charismatique exemplaire et humble 
3. Les comportements sont alignés sur des valeurs affichées et partagées
4. Elles en ont fini avec des boucles de contrôle : « C’est celui qui fait qui sait. »
5. Les acteurs sont autonomes : auto-direction, auto-organisation, autocontrôle
6. Elles ont adopté le principe de subsidiarité : à chaque sous-système, son niveau de décision
7. La pyramide managériale est inversée : le management est au service du terrain

En quoi ces principes sont-ils compatibles avec le management des forces de vente ?

1. L’excellence commerciale repose sur une démarche collective, caractéristique fondamentale des entreprises libérées.
En effet, avec la révolution numérique, la vente ne concerne plus uniquement la fonction commerciale. Le client garde en mémoire aussi bien la difficulté à trouver des informations pertinentes sur le site internet, que son rendez-vous final avec le commercial ou la relance de facture par le service comptabilité. Dès lors, les facteurs clés de l’entreprise libérée, décloisonnement, esprit collaboratif et émergence de l’intelligence collective, prennent tout leur sens et favorisent la démarche d’adhésion à des valeurs fortes partagées.

2. L’agilité très présente dans l’entreprise libérée est pleinement associée aux qualités premières d’un bon commercial. Ce dernier ne peut plus imposer dans un face-à-face un déroulé linéaire et mécanique d’entretien de vente. Avant ce rendez-vous, le client a débuté son parcours d’achat sur le web et peut avoir atteint une phase très avancée dans son processus d’achat. La valeur ajoutée du commercial réside dans sa capacité à identifier extrêmement rapidement à quelle phase en est son client et à s’y positionner avec agilité et pertinence.

3. le manager commercial est et restera un homme de terrain au service de son équipe
Dans l’entreprise libérée le manager doit donner du sens au travail et créer les conditions de de l’émergence d’une intelligence collective pour trouver avec ses équipes des solutions nouvelles à des situations nouvelles. Ceci est sans doute un des facteurs clés de la réussite des forces de vente pour les années à venir.
Il doit allier plus que jamais agilité, humilité et exemplarité. Face à des équipes rendues plus autonomes par les outils connectés, sa valeur ajoutée réside non pas dans « le faire du relevé de compteurs » bien souvent automatisé grâce aux CRM, mais dans sa capacité d’adaptation à la complexité des enjeux commerciaux, à la diversité des profils de son équipe et des situations de vente.

La posture hiérarchique d’un manager envoyant des messages descendants à sa force de vente n’étant plus la règle, le manager doit être en lucidité permanente et en capacité d’identifier les situations de manière à adopter la posture adéquate. Parfois il ne sera qu’un simple participant dans le groupe, à d’autres moments il sera coach. Le travail collectif de recherche de bonnes pratiques sur des situations nouvelles permet de créer une conscience partagée et de renforcer l’identité collective de l’équipe.

Les interrogations sur l’applicabilité de la philosophie au management des forces de vente

1. La qualité de l’empreinte commerciale
L’empreinte commerciale est la résultante des traces laissées par tous les acteurs de l’entreprise sur le parcours clients. Il est légitime de s’interroger sur les conditions à mettre en place pour garantir la cohérence des messages distillés par les différents acteurs et assurer ainsi, dans la durée, la qualité de l’empreinte commerciale.

2. Le principe de subsidiarité
Les modèles de vente « anciens » de type monobloc et enfermant dans une chronologie linéaire ne sont plus efficients face à des clients de plus en plus avisés, recherchant une certaine forme d’autonomie dans leur prise de décision et réservés sur la valeur ajoutée du commercial. Dès lors il faut s’interroger sur la façon de permettre aux acteurs de la force de vente d’évoluer vers une nouvelle démarche plus réactive, certes attractive, mais nécessitant des aptitudes élargies, des savoir-faire nouveaux et un comportement d’autonomie radicalement différent.

3. Peut-on mettre fin au contrôle de l’activité commerciale ?
Sans activité il n’y a pas de résultat et les résultats de demain sont les conséquences des efforts d’aujourd’hui. Il est clair que transférer la responsabilité de la pression commerciale à la force de vente et supprimer la quantification, la planification et le contrôle de l’activité par le manager sont terriblement anxiogènes pour les dirigeants. Comment l’entreprise et le manager commercial peuvent-ils concilier ces impératifs de pilotage de l’activité commerciale avec la philosophie de l’entreprise libérée ?

En résumé, faut-il inventer une forme de liberté surveillée ?

Libérer les forces de vente ne veut pas dire les rendre indépendantes mais les rendre plus autonomes sur la gestion de leur activité et leur capacité à trouver collectivement et à partager des solutions innovantes.
Pour autant, le contrôle exercé par les managers sur la force de vente doit toujours exister a minima dans une phase transitoire, celle de la transformation des mentalités, jusqu’à l’alignement des systèmes de rémunération et de motivation sur des nouvelles missions.
Le management doit s’apparenter à un soutien structurant de l’effort commercial, celui-ci risquant sur la durée de chuter ou ne plus être bien orienté.
Il devra pour cela partager avec la force de vente les indicateurs de pilotage pour en faire des outils d’auto-management, d’autorégulation et d’anticipation des résultats futurs.
Le manager doit toujours miser sur la capacité des acteurs, individuellement et collectivement, à trouver en eux-mêmes les ressources pour régler des situations, mais dans un cadre qui permet de sécuriser le commercial et l’entreprise, une forme de « liberté surveillée ».

Cette libération des forces de vente répond à un impératif qui est l’évolution indispensable de la fonction commerciale.
Poursuivre la réflexion en cliquant sur cet article : Fonction commerciale, la relève est-elle assurée ?